« J’ai été, tout d’abord, parfaitement ignorant en matière de peinture. Mais
la méditation m’a introduit à l’activité, absence d’activité particularisée »
Huang Ting Kien
Sou Chen « J’ai souvent, en traitant de peinture, exprimé l’opinion que les
hommes, les animaux, les bâtiments, les ustensiles, possèdent tous une figure
constante. »
MORPION
On pourra longtemps se poser la question du choix du motif à propos de Ding Yi.
On pourra énoncer de multiples références, picturales ou philosophiques mais
l’on ne pensera rien si on ne s’attache pas tout d’abord à regarder le motif tel
qu’il est et tel qu’il est, par exemple, apparu dans certaines toiles de You
Yuhan. Nous pensons particulièrement à cette série de toiles de Mao où se
détachent croix et fleurs. Ce que l’on a appelé le pop politique n’est rien. On
a voulu faire de You Yuhan un chef de file de mouvement mais on s’est trompé sur
l’identité de ses enfants. Le seul élève digne du Grand maitre est bien entendu
Ding Yi. La toile de Mao a tiananmen, biffée de croix qui vibrionnent a du faire
sensation sur le jeune Ding Yi, il y a surement trouvé là quelques principes.
Les croix chez You Yuhan ressemblaient encore trop à des étoiles, et les fleurs
(mao pingpong) à des fleurs. Mais il y avait là quelque chose d’aussi puissant
que l’air et qu’il fallait bien explorer. Ainsi Ding yi a t’il commencé en
ajoutant de la matérialité, du relief et du rugueux là où il privait le motif de
toute expréssivité et le dépouillait à l’extrême ( c’est la cas des très belles
toiles à la craie sur la toile nue).
Alors que ses confrères n’en finissait pas de reproduire des Mao pour se
débarasser d’une imagerie encombrante, Ding Yi, seul, ramenait l’espace de la
toile à une unité de mesure typographique et se retrouvait devant un infini
qu’il fallait traiter avec le plus grand soin. Alors que ses confrères se
déchiraient en débats culturels plus ou moins vains, Ding Yi se trouvait rejeté
en pleine mer, ou milieux de possibles exponentiels, à mettre en place une
vigoureuse conquête : celle de la toile. Celle ci remarqua t’il était déjà
rayée. Un simple trait et son immensité, sa complexité et son étendue excitait
le regard. Pas seulement le regard puisqu’un deuxième trait y ajoutait du
rythme. Ou plutôt rien ne s’y ajoutait, c’est la toile elle même qui se
démultipliait.
Ainsi la peinture de Ding Yi que l’on présente abusivement sous le côté du
projet et de l’ascèse était elle d’abord un Jeu. Un jeu de construction enfantin
et très libre, aux possibilités infinis et qui réclame une énergie de Titan.
Nous croyons que si Ding Yi avance avec méthode c’est poussé par une sensation
de vertige.
MISE EN ABIME
La première série des tartans ( les rouges) entraine une avancée considérable.
Une redécouverte de la perspective, une mise en rythme de la profondeur. Le
mouvement s’accélère et l’on assiste à un véraitble jeu de miroirs. La peinture
se fait échevaud, elle tisse un labyrinthe, une symphonie. C’est à partir de là
que Ding Yi devient une figure de l’abstarction. Il y deux types de peintres
abstraits : ceux qui espèrent tout de la couleur au risque de s’y noyer (Klein ,
Rothko) et ceux qui sont à la recherche d’une tension ( Rieman, Michaux). Ding
yi au moment où son art se couche sur le tartan devient une figure de
l’abstraction au deuxième sens du terme. Le support et les motifs entament une
lutte chatoyante, un ballet herculéen, et la musique apparaît( les cuivres des
jaunes, les verts flûtes). Le tableau se charge irrémédiablement et une fureur
sourde, un magma de notes se fait menaçant. On s’imagine alors Ding Yi échevelé
devant une mer dévastée ou un tableau de Friedrich. Il s’agit bien de
Romantisme, de l’âme prise au piège de son miroir. Le drame n’est pas loin et
pour Ding Yi le risque est grand alors d’être aspiré par la toile, de s’y
demener et de s’y noyer. Déjà quelque chose de très fou et sauvage se détache
mais à chaque fois Ding Yi rétablit le carré parfait du motif. La géométrie
reprend ses droits et ne laisse voir que par à coups la violence du combat.
C’est aussi à se moment là qu’il commence à transformer le carré en losange,
trouvant là une nouvelles dynamique ( centrifuge).
Andy Warhol, dans son journal s’est un jour demandé si un miroir pouvait voir
son propre reflet. Ce n’est bien entendu pas une question qui interroge la
représentation mais une question d’Optique c’est à dire de physiques ou de
forces contraires. Le losange non seulement démultiplie les motifs mais aussi le
centre de la toile. C’est la spirale qui n’a pas de centre mais un trou-creuset
qui se répète et se différencie par là même, c’est l’infondé, le sans fond, qui
ne retient aucune forme. Aussi là encore Ding Yi, mettant toute sa force à
échapper au devenir fou de la toile nous fait prendre un losange pour un carré.
Ce qui est géométriquement juste.
LE GEOMETRE PAYSAGISTE
A partir de là Ding Yi rajoute un nouvel élément à sa démarche. S’il se sert
toujours du tartan, il en recouvre désormais le motif d’une couche de peinture.
Le tartan gît sous une croute translucide et glissante. Le jeu des croix
s’appuie maintenant sur une fausse transparence. Elles y gagnent en vie propre,
en individualité, comme des arbres soulevés par la brume et qui se détachent
d’elle, un à un … dans la lumière du matin. Les toiles gagnent en lumière. Le
tartan n’apparaît plus que comme sédiment, le souvenir vaseux des excès de la
veille. « L’aurore aux doigts de roses » comme il est dit dans l’Odyssée
d’Homère. La nature reprend ses droits et Ding Yi se fait paysagiste. Les croix
qui se superposent toujours semblent plus légères, la peinture argentée
incrustée de paillettes, fait flotter les motifs comme des flocons et vibrent
comme des étoiles. Tout s’aère, s’agite et la composition se fait plus libre. Le
géologue-géomètre est sorti les yeux rougis du magma et peut contempler l’aube
d’été.
LES LUMIERES DE LA VILLE
Ding Yi s’intéresse de plus en plus à l’architecture et a même développé un
projet pour l’azia boulevard à Pudong qui marie radicalité et minimalisme. Ses
dernières toiles semblent dialoguer avec l’architecture urbaine. Certaines ont
une très grande tendance à la verticalité et toutes ont fait exploser le carré
qui donnait auparavant son harmonie à la toile. La géométrie minimale produit
désormais de l’organique. Les formes qui se composait auparavant par des jeux de
lumières et presque accidentellement ( parce que soumises aux jeux de lumière)
prennent corps. Nul doute que Ding Yi nous donne à voir là sa cité idéale, celle
dans laquelle il habite et qui est en construction et transformation permanente.
Son jeu austère et furieux avec les formes les plus élémentaires lui donne à
présent le droit de doubler le temps de celui de son rêve.
La rencontre de son art et de la ville qui nous ai donné à vivre est
saisissante. Le terrain gagné au fil des années est immense. Son art atteint là
une sorte de maturité grace à laquelle il peut s’ouvrir à d’autres champs
d’expérimentation. L’architecture en est une, et pas des moindres. Aucun artiste
n’a réussi pour le moment à peindre Shanghai de façon convaincante. Ding Yi nous
propose une matrice qui nous en donne le rythme et les pulsations.
Franck SERRANO